Petit ourson grognon au Pays des Ours Catalans

 

Aujourd’hui les mots sont un peu plus difficiles à venir que d’habitude, mais je tenais quand même à écrire un petit résumé de mon week-end sur les terres de l’ours Catalan.

Tout d’abord le week-end avait plutôt bien débuté, en effet, après une longue et intense préparation à la sauce norvégienne. La sauce norvégienne n’est pas un énième affront culinaire nordique qui accompagne le saumon. Non c’est une méthode d’entraînement basée essentiellement sur la « Rekkupp ».
Le mot « Rekkupp », prononcé « récup’ » en français, est une expression désignant une torture infligée par les vikings au peuple Cadurcien lors de leur invasion du Quercy. Cette torture consistait à faire courir leur ennemi à travers le causse, jusqu’à ce que mort s’en suive !
Après ces mois de préparation disais-je, je me sentais vraiment prêt à affronter cet ours Catalan à main nues, bien que ne sachant pas ce qui m’attendait, je dois bien avouer avoir eu quelques doutes au moment de me frayer un passage entre les ours affûtés au crâne rasé, aux muscles saillants et bronzés qui faisaient la queue pour récupérer leur dossards. Moi à côté, je ressemblais à un petit ours blanc sans défenses qui avait perdu son pot de miel.

Après avoir récupéré mon dossard, j’ai assisté au briefing de l’organisation en tentant tant bien que mal de comprendre où il fallait déposer les différents sacs qui allaient être notre seul ravitaillement dans cette course en autonomie complète. En effet, sur le Bearman, les ours bruns qui prennent le départ sont tellement sauvages qu’ils seraient capables de mordre le bras d’un bénévole lors des ravitaillements. Afin d’éviter tout accident, les organisateurs ont donc décidé de donner 3 sac à chaque participant pour qu’il puisse y glisser quelques pots de miels et 3-4 côtelettes d’agneau. Ces sacs seront alors acheminés le long du parcours avant le passage des concurrents afin de garantir qu’aucun contact n’aura lieu entre les bénévoles et ces bêtes sauvages !

Après avoir vérifié, re-vérifié et re re-vérifié que mes côtelettes étaient en nombre suffisants, que les affaires de rechange, qui allaient protéger mon petit pelage d’ours blanc chétif, étaient disposées dans les bons sacs, j’ai tenté de dormir quelques heures avant le réveil redouté pour ce qui allait être une « très longue journée de sport » comme disent les vrais triathlètes !

Au petit matin, alors que la lune n’avait encore pas décidé d’aller se coucher, la horde d’ours sauvages et moi-même avions rendez-vous au bord d’un lac mystérieux, pour y déposer nos bicyclettes et nous vêtir de nos tenues de natation, laissant ainsi disparaître notre différence de pelage! Pour la première fois, je me sentais comme ces vaillants ours sauvages, prêt à affronter les impitoyables montagnes catalanes et leur météo dantesque! Je suis rentré dans l’eau tel Usain Bolt qui entre dans un stade d’athlétisme avant la finale du 100m, au détails près qu’il n’y avait que 3 spectateurs endormis et que la petite lampe que l’organisation nous avait fournie afin que nous la glissions sous notre bonnet de bain me donnait plus l’allure d’une luciole en hypothermie que d’un ours prêt à manger le premier bénévole qui croiserai sa route !

6h30, le départ est enfin donné, ce moment que j’attendais tant arrive enfin! c’est parti, mon taux de confiance ou bien la peur de me faire rouler dessus par tout ces ours enragés était tellement fort que je me suis retrouvé dans le groupe de tête à la première bouée. Mais qu’est-ce que tu fous là Juju? En effet, après avoir battu mon record personnel sur 200m, les canards du lac se sont mis à rigoler tellement fort que je suis revenu à la raison, me rappelant qu’il me restait environ 15h d’efforts à fournir… après avoir suscité les plus infâmes moqueries de la part de tous les canards du lac durant 3 tours, on me donne enfin le droit de sortir de l’eau, on me tire même de l’eau, comme pour dire «  aller ça suffit Juju arrête le massacre! ». Malgré ce qu’en disent mes compagnons de baignade à plumes, je sors en 1h13 après 3,8km de natation, un temps plutôt bon pour mon niveau et surtout je n’ai pas l’impression d’avoir forcé, je suis donc remonté comme un coucou suisse pour aborder la 2e épreuve, celle que j’attendais le plus impatiemment, je parle évidemment du vélo.

Avant de m’élancer, je prends quand même le temps de me sécher grâce à un peignoir digne de Pablo Escobar fumant un barreau de chaise dans sa salle de bain! Et oui le style est un élément qui ne doit jamais être négligé!
Une fois sec et changé, je donne mon sac bleu aux bénévoles et en échange je reçois un GPS qui permettra aux gens – qui s’ils m’aimaient vraiment, auraient dû me dissuader de participer à cette épreuve complètement disproportionnée pour un pauvre petit ours blanc – de suivre ma progression confortablement installés dans leur canapé, un paquet de chips à la main!

Ce moment, je l’attendais depuis des mois, ce moment magique ou j’allais enfin enfourcher ma bicyclette et rouler à travers ces magnifiques montagnes catalanes entre les ours, les moutons, les poneys les chevreuils et autres sangliers. Ça y est j’y étais enfin, et c’est avec un sourire niais, jusqu’aux oreilles que j’ai commencé rouler, tout était parfait, mes jambes semblaient être neuves, je roulais sur un bon rythme, ils n’allaient pas voir le jour tous ces ours mal léchés!
Au 3e km, alors que j’attaquais la première montée qui allait durer 30km, j’entendis un craquement inhabituel entre la chaîne et les pignons. Sans paniquer, je décide de retendre un peu le câble pour que la chaîne monte correctement sur le pignon supérieure, mais 200m plus tard,
mon dérailleur, visiblement désireux de découvrir ce qui se passait de l’autre côté de ma roue arrière, profita d’un moment de faiblesse de sa tutrice la patte de dérailleur pour s’élancer entre deux rayons en criant « geronimooooooo! ».
Évidemment je n’avais pas de patte de dérailleur dans la poche, c’eût été trop beau. Un arbitre passant juste à ce moment-là, s’arrête à ma hauteur et voyant l’état de mon vélo, il décide d’appeler le camion balais pour me rapatrier au parc à vélo. Ne m’avouant pas vaincu, je décide de courir avec le vélo sur le dos afin de gagner un peu de temps et ne pas me refroidir en attendant le camion, qui ne tardera pas à venir. De retour au parc à vélo je constate que certains sont encore en train de sortir de l’eau, après discussion avec l’arbitre principal, il me donne l’autorisation d’aller jusqu’à mon gîte pour réparer et si je ne reviens pas trop tard, je pourrais reprendre la course depuis le parc à vélo. S’engage alors une course contre la montre, je dois tout d’abord récupérer les clés du gîte qui sont dans le sac bleu que j’ai donné à l’organisation en sortant de l’eau. Le pick-up étant chargé et sur le point de partir, je trouve 2 jeunes qui semblaient inoccupés et tous les trois, nous sautons dans le coffre afin de retrouver mon sac qui est forcément tout au fond  ! Une fois la clé récupérée, je saute dans la voiture sans enlever ni mon casque ni mes chaussures de vélo. Arrivé à proximité du gîte je ne peux pas me garer à côté car le marché de Céret bat son plein ! Je décide alors de courir, chaussures de vélo aux pieds, casque sur la tête, esquivant les grands-mères, leurs toutous et les étals de spécialités catalanes, manquant in-extremis de faire un tout droit dans une vitrine de charcuteries, afin d’aller chercher ma caisse à outils. Pour ne rien arranger, il pleut des cordes, un temps à faire hiberner les ours, les gens doivent vraiment me prendre pour un fou !
De retour à la voiture avec ma caisse à outils, il pleut tellement fort que je décide de faire la réparation dans le coffre, en pliant les sièges, je parviens presque à rentrer en entier avec mon vélo. Mais là, nouvelle complication, dans la précipitation, je n’ai pas pris le temps de caler mon vélo en le chargeant dans le coffre au parc à vélo et le câble de dérailleur s’est coincé dans un crochet du siège. S’engage alors une lutte acharnée contre ce foutu câble, prenant tout ce qui me passe sous la main, je finis par utiliser la clé du gîte pour faire levier, mais à force d’insister, je réussis à la tordre presque à angle droit ! Et c’est à ce moment-là que je comprends que je ne pourrais pas repartir. D’un coup, mon cerveau revient à la raison et tout s’effondre, jusqu’ici je ne voulais pas y croire, j’étais sûr que j’allais repartir ! Mais à ce moment précis, il fallait se rendre à l’évidence, j’étais complètement trempé dans le coffre de ma voiture, avec du cambouis jusqu’aux oreilles, mon vélo était coincé dans le siège et j’avais déjà presque une heure de retard sur la barrière horaire, je ne pouvais pas raisonnablement envisager de continuer. Tout à coup, la pression est redescendue, et je me suis mis à pleurer comme un gamin qui vient de casser son vélo. Et quand un enfant pleure et qu’il est triste, il se tourne naturellement vers ses parents. C’est donc ce que j’ai fait, comme un enfant devant mon vélo cassé, j’ai appelé ma maman et mon papa, pour qu’ils me disent que ce n’était pas grave, qu’il y aura d’autres courses et qu’ils accepteraient quand même que je rentre à la maison même si je n’ai pas terminé cette course un peu débile dont je leur parle sans arrêt depuis quelques mois.
Pour la petite histoire, mes parents ne pouvant pas être là dès le départ, ils devaient arriver vers 19h, afin de pouvoir suivre la course à pied et être présents lors de mon arrivée. Malheureusement je n’ai pas été assez loin dans la course pour qu’ils puissent me voir .
Après un coup de fil à coach Lulu pour lui expliquer les raisons de mon abandon et lui expliquer pourquoi le petit point bleu sur le live tracking faisait complètement n’importe quoi, il était temps pour moi de rendre ma puce GPS et de récupérer mes sacs de ravitaillement, un moment dur à vivre, car cela symbolisait le fait que j’étais définitivement hors course. Heureusement, une charmante bénévole a pris quelques instants pour me réconforter, j’espère qu’aucun ours ne l’a dévorée !
Pour le reste de la journée j’ai décidé d’aller à la plage afin de me changer les idées, coupant également mon téléphone pour ne pas avoir à répondre à tous les amis qui se demandaient « mais qu’est-ce qu’il fout juju, pourquoi il avance pas ce petit point bleu ? ».
Pendant que je marchais le long de la mer, sous la pluie, tentant de ne penser à rien du tout, je vis au large une bouée jaune et mon instinct de triathlète ne put s’empêcher de se demander s’il fallait la prendre main droite ou main gauche, c’est grave docteur ?

Finalement mes parents sont enfin arrivés dans la soirée. Le lendemain matin, tous les trois, nous sommes allés courir et c’est à cet instant que j’ai vraiment réalisé la chance que j’ai. Car malgré la déception dû à mon abandon, j’ai compris que j’avais toujours mes deux bras et mes deux jambes, que je pouvais courir avec eux, une des choses qui me plaît le plus car c’est eux qui m’ont transmis cette passion. Et puis on ne va pas se le cacher, peu importe de terminer un ironman ou de faire un super temps, la seule chose qui compte vraiment dans la vie, c’est d’enrhumer le padre sur la séance du dimanche matin en lui disant « à bon parce que t’attaquais toi ? » !

Petit ours